LE PETIT MAROCAIN
N°13287 du MERCREDI 02 MARS 1960


AGADIR: PLUS DE 5.000 VICTIMES, MORTS ET BLESSES

 

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UN APPEL DE SM LE ROI

" LE DEVOIR HUMAIN, RELIGIEUX ET NATIONAL EXIGE DE CHACUN DE NOUS DE VENIR EN AIDE A NOS FRERES SURVIVANTS "


RABAT, le 1er Mars (DNCP) - SM Le Roi a lancé sur les antennes de la Radiodiffusion Marocaine, l'appel suivant :
" Peuple fidèle, c'est avec tristesse et le cœur plein d'amertume que nous nous adressons à vous. En ce jour, une grande et terrible catastrophe s'est abattue sur notre pays. Un affreux cataclysme a détruit la ville d'Agadir, a fait de ses habitants des victimes et l'a laissée en ruines. La parole est incapable de décrire cette calamité. L'heure n'est pas aux discours, car ceux que Dieu a sauvés, attendent de nous des actes de solidarité, mais non point des pleurs et des paroles.
Nous avons chargé notre Prince héritier Hassan de diriger les opérations de sauvetage et secours et d'en surveiller sur place l'exécution. De même, nous avons chargé la princesse Aicha d'organiser une campagne de solidarité dans l'ensemble du royaume et de collecter des dons destinés aux sinistrés.
Nous avons également affectés les crédits pour les soins urgents. Le devoir humain, religieux et national exige de chacun de nous de venir en aide à ceux de nos frères survivants de la ville martyre et de leur apporter toutes formes d'assistance, en espèce ou autre, manifestant ainsi sa fraternité et accomplissant en même temps ses obligations religieuses et nationales. "
" Si vous faites un bienfait, Dieu vous le rendra au centuple et vous accordera le pardon, car Dieu est bienveillant et magnanime. (Coran) "

 

 

S.M Le Roi Mohamed V, accompagné de Moulay Ahmed El Alaoui et de plusieurs ministres et personnalités civiles et militaires parcourt les ruines; on remarquera le geste de désolation du souverain; au premier plan, un blessé attendant d’être évacué.

En haut:
Une vue du port, à droite, la montagne sur laquelle s’élève la kasbah, laquelle n’est plus que ruine

TITRES

SM Le roi, accompagné de S.A.R la princesse LALLA Aïcha les premiers sur les lieux pour juger de l’étendue du désastre.

- SAR le Prince héritier dirige de son P.C d’Inezgane, les opérations de sauvetage

- SAR la princesse Lalla Aïcha présidente d’une commission nationale de secours et de solidarité.

> LES MARINS DE LA B.A.N, les premiers à secourir les victimes.

> PONTS AERIENS: ENTRE AGADIR ET LES VILLES DU ROYAUME

S.A.R Le Prince Moulay Hassan: "Agadir sera reconstruite; le 1er mars 1961, nous inaugurerons une ville nouvelle".

 

 La fissure dans la chaussée, devant ce qui fût l’hôtel Gauthier au dessus de l’hôtel Mauritania.

  

A gauche:
Une vue générale du centre de la ville après le desastre.
(Reportage photographique Bernard Rouget)

A Droite: Un Gadiri miraculeusement rescapé erre dans les ruines à la recherche des siens.

 

TITRES

L’ESCADRE FRANCAISE FAIT ROUTE SUR AGADIR

UN PORTE AVIONS MUNI D’UN HOPITAL ATTENDU CE MATIN

Des unités marines US, espagnoles et portugaises également en route vars la ville martyre

 

 

 

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Notre correspondant à Agadir nous dit :
" JE SUIS VIVANT, MAIS C'EST revenir de presque l'au-delà "


AGADIR, 1er mars. (de notre correspondant particulier. Willy CAPPE). - Je suis vivant. je suis libre, et en ce jour, c'est revenir de presque l'Au-delà. 23h45,douze heures exactement après la première secousse, et c'est l'énoulement.
Pas une maison qui n'ait été ébranlée, des dizaines de grands immeubles effondrés, des centaines maisons, villas ou maisonnettes effondrées ou à demi détruites. Des centaines de morts, des centaines de blessés, des milliers de sans abri. Tout ceci en dix secondes, quinze tout au plus. Le temps pour moins malchanceux de tenter de sortir, et assez de temps aux forces d'une nature déchaînée de faire payer un horrible tribut, Tous ceux qui ont pu fuir se sont éloignés des maisons.
Dans une totale obscurité 
C'est évidemment l'obscurité totale. qui rend toutes choses encore plus inquiétantes. Et pour des milliers de pauvres gens, car il n'y a plus à Agadir que de pauvres gens, ce sera l'attente interminable d'un jour pourtant redouté. Car, que sera la vision première, lorsque l'astre de vie paraîtra ? La peur, une peur malsaine, suante, prend au ventre. Les uns sont saufs, tous réunis. D'autres savent déjà qu'un être cher gît là, sous des décombres.
Des quartiers périphériques qui ont moins souffert, déjà certains ont fait une rapide tournée en nocturne à travers ce qui fut la ville, et ils rapportent des nouvelles tragiques : "Tel immeuble est effondre, tel autre à demi, des dégâts énormes ".
Les premiers secours
II n'y a pas eu dix minutes d'écoulées que les premiers secours s'organisent. C'est avec les éléments de police, l'Armée royale et la Base aéronavale.
Tout ce qui roule se dirige vers les quartiers les plus éprouvés : la ville nouvelle, le plein centre et le Talbordj.
Camions et voitures de pompiers de la base. des Forces armées royales, arrivent chargés de soldats casqués et munis du matériel élémentaire de secours : pelles et pioches. A la lueur des phares de voitures. les premiers sauveteurs attaquent le sommet des décombres. Les six heures de la nuit passeront ainsi à essayer de sauver ce qui pouvait être sauvé. de vies humaines d'abord, de vêtements ensuite. 
Avec le lever de l'astre de vie.
Q'est une vision d'apocalypse qui apparaît.
Au sens même des écritures. c'est l'abomination de la désolation.
En la seule ville nouvelle, on compte plus de quinze grands immeubles de 4 à 7 étages effondrés. réduits à un tas de gravats.
Deux grands hôtels, remplis de clients sont réduits à la même expression dans le seul périmètre du Fer à cheval.
Spectacle Hallucinant
On compte aussi dans ce même périmètre cinq ou six grands immeubles à demi effondrés et une bonne quinzaine de villas, Mais lorsqu'on atteint le plateau de Talbordj, le spectacle est littéralement hallucinant. Les immeubles effondrés sont en quantité innombrable.
Et le jour qui s'est levé est un des plus ensoleillés qui soit. Et c'est heureux pour cette population aux neuf dixièmes sinistrées. Avec la lumière chaude revient l'espoir. Espoir de retrouver quelqu'être cher qu'on sait enseveli, parfois qu'on aperçoit même, ou dont on reconnaît les vêlements de jour indice que l'être humain n'est sans doute pas très loin.
Les sauveteurs grattent les morceaux de gravats, et combien qui sont en dessous, se battront toute la nuit pour se dégager, et triompheront parfois.
Il n'y a jamais d'espoir perdu. Dans la fin de la matinée, vers midi, on retirera un garçon de 15 ans absolument Indemne. Et ce n'est qu'un cas, qu'un exemple, qu'un encouragement pour les sauveteurs. C'est la preuve que la vie est forte et peut lutter, même contre le surhumain, contre l'inhumain.
Mais à la Base aéronavale française, tout le personnel, tout le matériel est mis à la disposition de la ville. Dans les locaux militaires s'enlacent les blessés de toutes confessions, de toutes nationalités. L'hôpital est à demi sinistré. On a dû évacuer les malades dans la rue. A la base, on soigne les urgences, et on évacue par avion. Un gigantesque pont aérien est organisé. Toutes les bases françaises, américaines et espagnoles sont alertées. et c'est un carrousel incessant au-dessus de la ville.
A 10h30 S.M. le Roi, SAR La princesse Lalla Aïcha arrivent, réservent leur première visite aux blessés, puis vont apporter leur réconfort aux innombrables sinistrés et familles des victimes.
A 11 h. 15, c'est M. Parodi, ambassadeur de France qui arrive et est reçu par M. René Jeudy, consul général de France qui lui rend compte du travail effectué.
De toutes parts, agriculteurs, industriels et particuliers offrent des véhicules, du personnel et des abris pour les sinistrés.
Des centres d'hébergement et de ravitaillement sont installés.
Mais il faut, hélas, s'occuper aussi des innombrables morts. Les corps sont rassemblés à la base et en d'autres lieux.
Un bilan direz-vous ?
Impossible à chiffrer. On découvre à tout instant de nouvelles disparitions. On découvre aussi de nouveaux survivants véritables miraculés d'un au-delà tangible.

Willy CAPPE

 

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Nous sommes restés impuissants devant les appels des blessés qui sortaient des décombres
nous raconte un fonctionnaire rescapé.

" C'est épouvantable, il faut avoir vécu cela, Non, aucune parole ne peut vous décrire cette nuit horrible. Des décombres, c'étaient des appels que l'on entendait et qui sortaient de tous les points du sol " C'est un fonctionnaire qui parle, et qui a tout perdu. Mais il est en vie, les siens aussi.
" Nous étions déjà couchés, ma femme et moi, notre petit garçon dormait dans la chambre voisine de la nôtre, raconte-t-il. Nous étions dans un point d'Agadir où la secousse précédente le désastre n'a pas été entendue. Nous avons d'un seul coup entendu un grondement et en même temps nous recevions des plâtras sur le corps. Nous nous sommes levés immédiatement, avons pris notre enfant.
Nous sommes sortis en courant, recherchant un terrain vague. Dans cette sorte de pénombre, on apercevait des maisons réduites en tas de poussières des cris sortaient de terre. Ce qui était affreux, c'était de se voir impuissant devant ces appels qui faiblissaient petit à petit pour s'éteindre finalement "

Des klaxons bloqués hurlaient dans la nuit
" Des klaxons de voitures bloqués augmentaient par leur son, le sinistre de la nuit. Nous avons gagné notre auto. Les portières étalent fermées, mais heureusement une vitre était ouverte. Nous nous sommes placés à l'intérieur. Nous avons pensé aux amis et nous nous sommes dirigés vers leurs habitations, Les maisons étaient ou démolies ou écroulées. Quelques instants après, des voitures de la Base aéronavale française circulaient en ville, invitant les sinistrés à se diriger vers la base. Nous nous y rendîmes.

" Nous fûmes tous accueillis et avons reçu les premiers réconforts. Tous les sinistrés, sans distinction étaient soignés ou alimentés. Les voitures de la base n'arrêtaient pas de circuler et de réconforter ou de transporter les blessés.
A 9 heures du matin, la base nous disait qu'ils ne conservaient que les blessés graves. En voiture, avec les miens et quelques personnes que je recueillais, je me suis dirigé vers Casablanca, où j'arrivais à la nuit.

 

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Un Safiot de passage à Agadir   "J'ai lutté pendant 6 heures avant d'être délivré"

SAFI, 1er mars (d.n.c.p.). - A Safi nombreux sont les habitants qui ressentirent les secousses du tremblement de terre d'Agadir à 23h40. Avertis ce matin mardi à 4 heures de la catastrophe qui s'était produite à Agadir, nous avons été tout de suite voir les immeubles qui comptent le plus d'étages. Aucun d'eux n'était endommagé.
Nous avons ensuite interrogé une vingtaine de concitoyens. Les uns avaient senti leur lit remuer, d'autres debout eurent l'impression d'avoir un vertige, mais la plupart ne s'aperçurent de rien.

A 17h30, plusieurs isolés et une dizaine d'ambulances amenèrent à l'hôpital François-Maire de Safi, des blessés légers ou des victimes de commotions. Les grands blessés devaient arriver beaucoup plus tard. Nous avons pu joindre l'un des "miraculeusement rescapés": M. Ahmed Ben Meaachi de Safi qui se trouvait à Agadir pour effectuer un stage dans une compagnie pétrolière. Il est couvert de blessures sur tout le corps mais heureusement sans gravité.
"Il me semble que mon lit remue encore", nous dit-il. On lit dans ses yeux un restant d'épouvante. Voici ce qu'il nous déclare:
"Je me suis couché à l'hôtel Gautier vers 23h30; je venais d'éteindre la lumière depuis cinq minutes, lorsque j'entendis tout d'un coup comme un roulement de tonnerre, et tout s'effondra sous moi, mon lit et le plancher ; j'eus l'impression d'être précipité dans un gouffre et je me trouvais coincé sur des débris de toutes sortes, aveuglé par la poussière et le sable, j'entendais des hurlements autour de moi. Je criais moi-même, mais ne pouvais bouger, j'ai lutté ainsi pendant six heures, les cris autour de moi cessèrent petit à petit, un homme qui se trouvait sous d'autres débris plus bas que moi, mourut avant l'arrivée des sauveteurs.
"C'est à plus de six heures que le gérant du Claridge et trois ou quatre marins français vinrent me sauver et eurent beaucoup de mal à me sortir d'où j'étais; j'eus l'impression en sortant que toute la ville d'Agadir était détruite. J'ai vu aussi du feu sur les bateaux dans le port.
"Vers neuf heures, un rescapé, M. Jex m'a emmené à Safi, il m'apprit que lui, un pilote et son petit garçon et moi-même étions les seuls rescapés de l'hôtel. Alors que j'étais encore sous les débris de l'éboulement, j'ai bien eu l'impression de ressentir deux ou trois secousses légères".
Plusieurs autres blessés nous ont fait des récits tous plus épouvantables les uns que les autres. A l'hopital François-Maire, les blessés graves arrivent. Tout le personnel, tous les docteurs, médecin-chef en tête, sont là et tous avec un admirable dévouement, prodiguent leurs soins aux malheureuses victimes de la catastrophe d'Agadir.

 

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QUATRE MURS ET UN TOIT: TERREUR DE CERTAINS RESCAPES
atteints d'une compréhensible "claustrophobie"


Pendant toute la journée et la soirée d'hier, le pont aérien établi entre Agadir et Casablanca pour amener les blessés d'Agadir a été assuré sans interruption. Dans les centres hospitaliers casablancais, tout le personnel sanitaire : médecins, infirmiers et assistantes, était en état d'alerte et prêt à recevoir les blessés qui ne cessaient d'affluer.
Dans les premières heures de la matinée. six avions atterrissaient au Camp Cazes, pour y débarquer les
premières victimes.
Les ambulances du Croissant Rouge, de la Croix-Rouge et militaires attendaient sur l'aire d'atterrissage ; à peine l'avion s'était il posé, que déjà elles repartaient chargées de blessés vers l'hôpital Maurice Gaud, et l'hôpital militaire français Jean Vial. Hommes, femmes enfants, étaient ensuite dirigés selon leur état dans les différents services. Certains, atteints grièvement, étaient emmenés d'urgence dans les blocs opératoires, pour y subir des interventions chirurgicales délicates. Avec douceur, infirmiers et infirmières pansèrent les blessures. Les victimes, encore sous le coup de l'émotion, ne semblaient pas encore avoir réalisé, ne parlant pas, ils regardaient hébétés tous ces gens qui s'affairaient autour d'eux.
La plupart d'entre eux faisaient preuve d'une "claustrophobie", hélas bien compréhensible : la seule idée de pénétrer dans un bâtiment, d'être entre 4 murs, sous un toit, leur semblait odieuse et insupportable : des scènes pénibles eurent lieu à ce sujet, et il fallait toute la douceur et toute la compréhension du personnel sanitaire pour faire admettre à ces malheureux qu'il était nécessaire de les faire pénétrer dans les locaux, afin de les soigner.
Dès leur admission, des signes distinctifs d'identité leur étaient placés sur le bras gauche.

Un Véritable pont aérien
En début d'après-midi, les avions centralisaient leurs atterrissages sur la piste de la base aérienne militaire française, 17 appareils au total assurèrent la liaison Agadir-Casablanca.
De très nombreuses personnes inquiètes de la présence à Agadir de parents ou d'amis, stationnaient devant les hôpitaux à la recherche de nouvelles, mais le lock-out le plus complet était appliqué.
Seules les ambulances allaient et venaient sans interruption, établissant la jonction avec l'aérodrome.
A 17 heures, 44 blessés se trouvaient hospitalisés à Maurice Gaud. Quatre d'entre eux y décédaient. L'hôpital Jean Vial avait reçu à peu près à la même heure, 30 blessés dont plusieurs gravement atteints.
S.E. le gouverneur de ]a ville de Casablanca assisté de M. Regragui, se sont rendus aux hôpitaux où ils ont pris des nouvelles des victimes.
Le docteur Boutaleb, médecin chef du centre hospitalier, a déclaré que tout avait été mis en œuvre pour recevoir les blessés d'Agadir, et que les premiers soins ont été appliqués aussitôt. Tout le personnel sanitaire est en état d'alerte, permettant ainsi d'éviter des complications de l'état des victimes, par une attente prolongée.

 

 

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MM GAMBIER ET CARTON, DU ROYAL AERO-CLUB
AGADIR, C'EST POMPEI VU D'AVION
Le site célèbre de la Kasba a disparu


Hier à 18h00, atterrissait la Tit-Mellil le petit avion de tourisme piloté par M. Gambier et M. Carton de retour d'Agadir, la ville martyre.
M. Gambier, très ému par la vision d'horreur d'une ville foudroyée en quelques minutes, nous a déclaré:
" J'ai appris la nouvelle ce matin par la radio et j'ai de ce fait décidé de partir. Quelques minutes après cette décision, M. Carton, valeureux pilote, prenait place à mes côtés dans l'avion et c'était l'envol vers Agadir.
"Agadir, nous a dit à son tour M. Carton, c'est Pompéi vu d'avion". L'image est significative.
- Ce qui m'a le plus frappé reprend alors M. Gambier, c'est l'absence de la kasba que l'on admirait aux approches d'Agadir. Ce site célèbre n'existe plus. Le tremblement de terre a tout rasé. Plus loin, la ville marocaine de Talbordj, d'ordina1re blanche et bleue apparaît comme un fouillis de pierre grisâtre, lançant ses tronçons de murs mutilés comme une pierre stérile vers un soleil impitoyable.
"La partie moderne de la ville offre cet aspect apocalyptique d'un monde qui a vécu l'enfer. Çà et là quelques lots de maisons qui ne tiennent debout que par miracle, mais tout autour des amas de gravats, de pierres et d'immeubles qui se sont repliés sur eux-mêmes comme des châteaux de cartes".
- Phénomène curieux, enchaîne M. Carton, les maisons et particulièrement l'hôtel Saada, se sont repliés verticalement en accordéon. La dalle du toit de l'hôtel a écrasé et enfoncé les étages.
"Après quelques passages sur la ville, nous nous sommes posés sur le terrain. J'en ai ressenti une impression semblable à celle d'un arrière front. Des remorques pleines de blessés faisaient la navette entre la ville détruite et le camp d'aviation. De l'aire d'envol, des avions réalisaient ce pont aérien extraordinaire qui a permis de sauver bien des vies humaines. D'Agadir, l'ancien quartier de Founti qui domine le port n'est plus qu'un remblai. Trois grues ont écrasé les magasins dans leur chute : une seule est debout, témoin muet d'Une nuit d'horreur".
M. Gambier nous a dit ensuite comment il avait trouvé dans sa ferme à 24 km d'Agadir plusieurs amis qui campaient sous des orangers.
- Ce qui caractérise les rescapés de cette nuit infernale, c'est la prostration. Pourtant ils ont trouvé assez de force pour me décrire cette nuit de terreur et de sang.
"Tout a commencé par un grondement sourd ; eux, mes amis, ont senti la terre frissonner et c'est alors qu'ils se ruèrent dehors. Autour d'eux les maisons vacillaient sur leurs assises. Des pierres pleuvaient du ciel et des incendies découpaient dans la nuit un hallucinant décor. Des hurlements, des cris de douleur, des lamentations achevaient de donner à la ville un aspect de fin du monde.
"Aux premières lueurs du jour, on ne voyait que des hommes de la Base de l'Aéronavale et des rescapés du séisme rechercher dans la lueur blafarde les blessés et les morts.
"Sur les routes, c'était l'exode, la ruée loin de ce centre de terreur. Il faut bien le dire, ceux qui restent vivent sous la peur d'un nouveau tremblement de terre ; et comme ce séisme a détruit 80 % de la ville, on se demande ce qui pourrait encore arriver. On ne peut qu'éprouver, conclut M. Gambier, devant un tel fléau, un sentiment de peur. On ne pense plus, on subit".