Les Vies changent, Les Souvenirs restent.


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Paris Match

 

 

Le premier article que nous avons, est celui qui a été fait par le magazine PARIS MATCH, il s’agit du N° 560, nous vous en remettons le texte integral, images et textes.

(Nous remercions Mme Odette OHAYON-BENIZERI, pour nous avoir fourni ce document)

 

PARIS MATCH N° 560

AGADIR

LA TRAGEDIE DES EMMURES

 

 

Le premier  " flash " annonçant la catastrophe tomba sur les téléscripteurs le 29 février à 6 h 25. Il déclarait: " Un violent tremblement de terre a eu lieu à 1 heure du matin à Agadir. Une partie de la ville européenne serait détruite. Les liaisons sont coupées avec la ville. "
Toute la journée, régna l'incertitude. Le flash de 10 heures signalait des centaines de morts et de blessés, celui de 14h55, 2000 morts, celui de 17h44, 4000. En fait, les morts d'Agadir n'ont jamais pu être exactement dénombrés. Mais on devait bientôt découvrir qu'ils n'étaient ni 2000, ni 4000, mais plus de 15000, parmi lesquels 700 Français. 

 

 

                Soudain, un chaos de ruines où luttent les sauveteurs.

 

 

Hagards, les rescapés songent à ceux qu’ils ont laissés dans l’enfer. La ville est détruite aux neuf dixièmes.

On ne saura jamais le nombre exact de morts: plus de 15000 pense-t’on, dont 700 français.

1) A déterminer. 2) A déterminer 3) A déterminer 4) Jacqueline PEREZ 5) Vivianne PEREZ 6) Esther PEREZ 7) Mr MAMANE 8) Khalifa PEREZ

 

(Nous remercions Mme Jacqueline PEREZ - ALFANDERI qui s’est reconnue et a identifié sa famille sur cette photo.)

 

Le premier à se rendre compte de l'ampleur des désastres fut un pilote français de la base aéronavale d'Agadir, base toute proche de la ville, mais qui, par miracle n'avait pas été touchée par le séisme. Il décolla le r er mars au petit matin et survola Agadir à basse altitude. Tout ce que le quartier européen comptait d'immeubles modernes et de maisons de plus d'un étage n'était plus que tas de pierres et poutres tordues, raconta-t-il. Un immeuble de dix étages avait été réduit à l'état de tumulus poussiéreux.
Quelque chose d'insolite l'avait frappé dans le spectacle qui s'offrait à ses yeux: alors qu'après un bombardement, les maisons donnent l'apparence d'être éventrées, ici, les dalles de béton n'avaient pas bougé pendant le tremblement de terre. C'étaient les murs de soutènement et les piliers qui avaient cédé, et les dalles s'étaient alors effondrées. Du côté de la vieille Casbah fortifiée qui dominait la ville, des pans entiers de colline étaient encore- en train de glisser vers la mer. Quatre-vingt-dix pour cent de la cité étaient en ruine.

 

     

La Casbah aux remparts éclatants de blancheur qui dominait la mer du haut de ses 230 mètres, est rasée.

Et plus un pan de mur ne reste debout dans le Talborjt, la ville musulmane construite au pied de la casbah.


    Les survivants s’enfuient, emportant les pauvres restes de leur foyer qu’ils ont pu arracher aux décombres, objets usuels, vêtements, parfois un simple  tabouret. On ne saura jamais le nombre exact des morts: deux ans plus tard, le bilan de la catastrophe restera incomplet.

 

 

                                                  La Miami de l'Afrique du Nord

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

 Agadir. Les touristes qui, les années précédentes, avaient eu la chance de se dorer sur les plages de cette ville-champignon du Sud marocain, la tenaient pour " la Miami de l'Afrique du Nord ". Climat idéal : le terrible vent du désert n'y souffle pratiquement pas. Même à ceux qui n'avaient pas eu cette chance, le nom d'Agadir n'était pas inconnu. Le 1er juillet 1911, Guillaume II, kaiser d'Allemagne, y avait envoyé la canonnière " Panther ". C'est ce qu'on avait appelé le " coup d'Agadir" : La Première Guerre mondiale faillit alors commencer trois ans plus tôt. C'est ainsi qu'Agadir était entrée une première fois dans l'histoire. Mais rien ne laissait prévoir que sa seconde entrée se ferait de cette façon. Le Maroc, en effet, d'après les " physiciens du globe ", n'est pas, comme l'Algérie, une terre menacée par les fréquentes secousses sismiques.
Pourtant, une semaine plus tôt, exactement le 23 février à 12h15, il y avait eu un premier avertissement. Pendant deux ou trois secondes, la terre avait légèrement tremblé. Personne n'y avait attaché d'importance.

 

 

Le 29 février, jour de la catastrophe, nouvel avertissement. A 11h45, le sol frémit de nouveau. A peine. Plutôt que la panique, ce deuxième coup du destin amorçait une habitude.
Vint alors le troisième coup, à 23 h 45. Il dura 12 secondes, pas plus. Et il n'y eut plus d'Agadir. La secousse avait été aussi violente que celle qui détruisit Lisbonne en 1755 et fit 100000 morts.
23 h 45, c'était l'heure de la sortie des cinémas et aussi, comme on était au troisième jour du Ramadan, celle où, après la journée de jeûne, les musulmans se réunissent en famille pour se régaler de gâteaux de miel.
D'après le témoignage des survivants, la secousse qui, tout à coup, brisa la ville fut " désordonnée ", en ce sens que les trépidations s'exerçaient à la fois dans le sens horizontal et dans le sens vertical - "comme peut être secoué un prunier " - pour s'achever par une espèce de coup de boutoir en direction du sol. Un grondement de tonnerre l'accompagna, prolongé par le fracas des immeubles qui s'écroulaient l'un après l'autre. Dans la rue, fuyant leurs maisons dans l'affolement, ceux qui avaient été épargnés cherchaient à comprendre. Mais c'était impossible: un énorme nuage de poussière recouvrait la ville plongée dans une obscurité totale d'où, ça et là, montaient des hurlements.

Il ne reste plus qu’une vision d’apocalypse. Même la splendide cité neuve construite par les Français en 1947 n’a pu résister au séisme.
Naguère, elle offrait aux touristes du monde entier ses luxueux hôtels avec piscine. Ce décor de rêve s’est transformé en un sépulcre d’où montent des plaintes.

                  

 

Les récits des premiers rescapés furent atroces. Tel celui de cette jeune fille: "Nous habitions près de l'hôtel Saada. Je dormais. Tout à coup, un grondement sourd m'a éveillée et je me suis sentie plaquée au sol. J'ai entendu ma grande sœur hurler de terreur dans la cour et en même temps, la chambre de papa et maman a disparu, comme attirée par une force mystérieuse. J'ai vu ma sœur essayer de retenir le berceau de Nénette, notre petite sœur âgée de quelques mois, mais le berceau était vide. Alors ma sœur a commencé à crier: " Où est Nénette! " Après, je ne sais plus très bien. Dehors, c'était la panique, la route a été engloutie devant nous avec toutes les voitures et après, une crevasse béante barrait notre passage ". Les cheminées volaient. "
Naturellement, eau, électricité, téléphone, tout était coupé. Et toutes les forces possibles d'intervention paralysées. La caserne s'était affaissée sur le bataillon de garnison dont une seule compagnie était indemne. Seule la base aéronavale française était intacte. C'est d'elle que vinrent les premiers secours. Mais avec leurs pelles et leurs pioches, que pouvaient faire les marins devant l'ampleur du désastre?

Quand les premiers reporters arrivèrent sur les lieux, la ville présentait un aspect hallucinant. Sauveteurs mis à part - et les morts sous les décombres - elle était vide. Curieusement, elle semblait propre. A peine quelques gravats au pied des immeubles pourtant réduits à l'état de monceaux de pierres. Sur quelques façades miraculeusement restées debout, du linge séchait encore aux terrasses. Mais il n'y avait plus rien derrière. " On a l'impression, raconte un reporter, que murs et parois se sont repliés sur eux-mêmes comme un homme pris de faiblesse qui s'affaisse en pliant les genoux. Alors les toits, qui le plus souvent sont des dalles en béton faisant office de terrasses, ont tout recouvert : les morts, dont on ignore le nombre, et aussi les vivants que, quinze heures après le drame, on entend encore - parfois crier. "
C'est sur ces dalles - et sous un soleil de plomb - que les marins de la base, presque tous Bretons, casqués et torse nu, s'acharnent. Mais les manches des pioches cassent et un terrible sentiment d'impuissance accable les hommes. Ici, au sommet du tas de pierres qui fut l'hôtel Gauthier, une femme d'une trentaine d'années, droite comme une statue, au milieu de la terrasse, refuse de s'en aller. Là était sa chambre. Là était sa fillette, Annie, 4 ans. Elle faisait un bridge chez des amis quand la terre a tremblé. Elle est revenue comme une folle à travers le nuage de poussière. Mais il lui a fallu plusieurs heures pour se persuader que cette dalle de béton sur laquelle les marins l'ont découverte en train de taper du pied était bien le toit de son hôtel. Elle tapait, puis, à genoux, l'oreille collée au béton, elle écoutait... les marins l'ont obligée à s'écarter, puis ont commencé à creuser. Ils ont d'abord sorti deux cadavres, puis une poupée en celluloïd, celle d'Annie. Puis il a fallu emmener la jeune femme de force, car il n'était pas possible de lui montrer le corps de son enfant.

 

Le silence se fait sur le charnier. Les milliers de victimes sont englouties sous des milliers de tonnes de béton.
Les équipes de secours n’ont pu dég
ager que 15 survivants. Par miracle, le douzième jour, on retrouve un autre emmuré, le dernier.

 

 

Pourtant, point de tragédie sans miracle. Sur une petite place où s'alignent côte à côte des cadavres qu'un camion vient chercher et emporter d'heure en heure, tout à coup un cri : " Vivant! " Deux Marocains en djellaba brune creusaient au fond d'un trou. Ils trouvent une armoire renversée, sans porte. Sous cette armoire, qui l'avait protégé, un bébé de deux ans dormait. S'éveillant, quarante-deux heures après le drame, il passa le bras autour du cou de son sauveteur.
Il y eut ainsi une quinzaine de  " miraculés ". Quinze sur quinze mille ... Pourquoi si peu? Justement parce qu'il y avait trop de morts pour que la petite armée de vivants qui leur livrait bataille pût l'emporter. Les équipes d'inhumation et de désinfection avaient beau travailler sans relâche, elles ne pouvaient venir à bout de la pestilence. Dans la journée, le thermomètre montait jusqu'à 41 degrés. Contre l'épouvantable odeur qui se dégageait des ruines, les sauveteurs avaient eu d'abord recours à de simples bouchons de coton qu'ils s'introduisaient dans les narines. A présent, il n'était plus question de travailler sans masque antiseptique. 8 000 hommes - soldats marocains, marins français et hollandais, aviateurs américains - étaient pourtant à pied d'œuvre. Marteaux piqueurs et bulldozers étaient arrivés. Mais à quoi bon? Pouvait-il y avoir des vivants là où les cadavres que l'on retirait des décombres se liquéfiaient quasi instantanément et continuaient de dégager des bouffées de gaz méphitique après avoir été arrosés de tonnes de chlorure de chaux et de DDT, Typhus, peste, choléra, voilà ce qui maintenant menaçait non seulement Agadir, mais toute la région environnante.

 

Il ne restera plus personne sur les lieux, mais un vieillard (à gauche) refusa d’abandonner les ruines de sa maison.

 

Le 5 mars au soir, le prince héritier Moulay Hassan, qui depuis cinq jours organisait les secours à partir d'un Q.G. établi à quelques kilomètres de la ville, vint prendre contact une dernière fois avec les diverses équipes qui œuvraient dans les ruines. Ces hommes étaient épuisés. Alors Moulay Hassan prit une double décision: celle d'arrêter les travaux de déblaiement et de bloquer toutes les issues de la ville par un cordon sanitaire. Pour préserver les vivants de l'épidémie, Agadir - que le prince avait fait serment de reconstruire - était déclarée ville morte.
En cette terrible nuit du 29 février, un Italien nommé Rattazi, propriétaire d'un restaurant sur le front de mer, était en train de fermer lorsque la secousse se produisit. Avec sa famille, Rattazi courut aussitôt sur la plage et de là, vit se soulever dans la nuit l'énorme nuage de poussière blanche produit par l'effondrement de la ville.
Rattazi a repris un restaurant face à la mer. Hassan, devenu roi a tenu parole. Dans Agadir ressuscitée, tous les  " anciens " sont revenus.

Article pris intégralement dans le PARIS MATCH N° 570 de l’année 1960.

 

 


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